Rédiger un mémoire technique efficace pour les marchés publics : Leçons de la jurisprudence (TA Paris, 5 janvier 2024, n° 2328772)
L'importance d'un mémoire technique bien rédigé dans l’évaluation des offres des marchés publics est décisive.
Un récent jugement de tribunal administratif (TA Paris, 5 janvier 2024, n° 2328772) met en évidence les pièges d'un mémoire technique générique et imprécis, entrainant le rejet des offres.
Cet article met en exergue les implications de ce jugement et fournit des informations et conseils pour créer un mémoire technique adapté aux besoins spécifiques de chaque marché public.
Attention aux dangers des mémoires techniques types : cela ne fonctionne pas !
La décision du tribunal administratif de Paris met en évidence un problème courant auquel sont confrontées les entreprises lors de la réponse aux appels d'offres publics : l'utilisation de mémoires techniques génériques ou basés sur des modèles.
En effet, de nombreuses entreprises ont recours à la technique des mémoires techniques types, et du copier-coller à partir d'exemples précédents, pensant que cela leur fait gagner du temps.
Cependant, le jugement souligne que cette méthode, apparemment pratique, entraine des conséquences négatives, conduisant notamment au rejet des offres.
En effet, lors de la notation des offres techniques les acheteurs qui évaluent la valeur technique des offres sont confrontés à trois erreurs classiques des entreprises :
- Une offre issue d’un mémoire technique type ou d’un exemple.
- Une utilisation généralisée du copier-coller avec peu d’adaptations.
- Un document qui ne répond pas aux besoins spécifiques avec de nombreux oublis.
Résultat : les notes obtenues sont décevantes
Or, ces pratiques, très courantes, ont le don d’exaspérer les personnes chargées de noter les offres.
N'oubliez pas que le critère de la valeur technique, fait l’objet d’une appréciation plus subjective que celle du prix vu que la note attribuée dépend de la personne qui évalue les offres.
Il faut se mettre à sa place, n’oubliez pas que souvent les personnes qui évaluent les réponses ont participé à la définition des besoins.
Il en résulte que si votre offre se contente de produire un document générique avec peu de personnalisation (c’est très facile à détecter avec l’expérience), la note attribuée en sera le reflet.
Les critères du tribunal pour un mémoire technique solide
Le tribunal administratif de Paris a énoncé indirectement les conseils importants pour rédiger un mémoire technique efficace.
En effet, dans cette affaire il est reproché à l’entreprise « d'avoir fourni un mémoire technique trop général et donc insuffisamment précis et spécifique au regard des besoins du marché ».
1. Un « mémoire technique général ? » : La spécificité plutôt que la généralité
Un document générique manquant de détails spécifiques ou présentant des informations vagues sans lien avec les besoins du marché sera scruté par la personne chargée de l’évaluation du critère de la valeur technique.
Le mémoire doit démontrer une compréhension concrète des exigences spécifiques de l'acheteur, en évitant tout contenu générique.
2. Un mémoire « insuffisamment précis ? » : La précision compte
Les explications vagues et génériques formulées sous forme de phrases toutes faites sont à proscrire. C'est ce que vous trouvez dans les "modèles" et autres "exemples" échangés entre les entreprises répondant aux appels d'offres.
Le document que vous rédigez doit fournir les détails opérationnels spécifiques, les ressources techniques et humaines, et les exemples de réalisations similaires.
Une précision accrue inspire confiance à l'acheteur quant à la capacité de l'entreprise à fournir les services requis.
3. Une offre technique adaptée aux besoins du marché : c'est le minimum !
Une adaptation stricte à chaque dossier de réponse est essentielle, incluant des détails (selon les exigences du dossier de consultation) tels que les ressources humaines et matérielles allouées, la méthodologie opérationnelle, les considérations environnementales, et d'autres exigences techniques.
Le copier-coller sans analyse et adaptation est strictement déconseillé et peut entraîner un rejet.
L'urgence de réviser les pratiques de rédaction des mémoires justificatifs des candidats
L'affaire en question concernait une pratique courante d'utilisation de documents génériques, conduisant au rejet.
Cela soulève des préoccupations quant à l'avenir de telles pratiques dans les marchés publics.
Même sans sanctions légales explicites, le recours à des mémoires techniques génériques se traduit par des évaluations décevantes pour la notation.
Pour les entreprises, ce type de jurisprudence soulève naturellement le problème de l'utilisation d'exemples et de mémoires types.
La probabilité élevée d'évaluations négatives et l'effort supplémentaire requis par les évaluateurs pour extraire des informations pertinentes des réponses génériques rendent ces pratiques risquées donc à proscrire.
Et pourtant le jugement n’introduit pas de nouveauté vu que les analyses des offres des acheteurs ont depuis longtemps intégré l’impact négatif de la notation par rapport à ces types de pratiques.
Rédiger un mémoire technique c’est viser la meilleure note
Viser la meilleure note c’est :
- se conformer aux exigences particulières du dossier,
- comprendre la logique de l’acheteur,
- et rédiger chaque réponse en conséquence.
À la lumière des développements récents, les entreprises répondant aux marchés publics sont invitées à prendre les mesures suivantes :
1. Abandonner les approches génériques
Renoncer à l'utilisation de mémoires types, d'exemples et de copier-coller indiscriminé.
L'adaptation et la personnalisation sont
pratiquement impossibles avec des modèles de documents, sauf, à y
passer un temps disproportionné sans garantie d'un résultat satisfaisant.
Cette pratique est donc à proscrire.
Et même si l'entreprise y arrivait :
- elle y passerait plus de temps,
- alors que de démarrer sur des bases saines avec un plan spécifique et détaillé qu'il suffirait ensuite de compléter serait tout à fait profitable quand on vise la note.
2. Planifier stratégiquement
Élaborer un plan détaillé et spécifique pour chaque mémoire technique, en évitant des plans qui se ressemblent pour différents marchés.
En effet, chaque sommaire, sous forme de table des matières détaillée, doit être totalement spécifique au dossier auquel vous répondez.
Personnaliser les documents en incorporant judicieusement des enseignements tirés de projets antérieurs.
3. Chercher la clarté
Dans les cas où les documents de marché manquent de spécificité, engagez un dialogue avec l'acheteur pour clarifier les attentes du maitre d'ouvrage via les questions / réponses transmises par voie électronique.
Une compréhension claire des exigences de l'acheteur est essentielle pour rédiger un mémoire technique ciblé répondant aux attentes.
4. Considérer la formation
Investir dans des programmes de formation axés sur la rédaction des mémoires techniques pour améliorer les compétences et la compréhension. La formation garantit que les réponses sont adaptées aux exigences uniques de chaque marché.
Pour des informations plus approfondies sur la rédaction des mémoires techniques et les mises à jour de la jurisprudence en matière de marchés publics, envisagez de vous inscrire à notre programme de formation sur le mémoire technique d'une journée.
Informations ou devis (formation ou assistance)
En conclusion, le rejet d'une offre en raison d'un mémoire technique générique est un signal clair que les entreprises doivent adapter leurs pratiques.
La transition vers la spécificité, la précision et les réponses sur mesure est essentielle pour réussir dans le paysage de vos réponses aux marchés publics, sachant que les mêmes méthodes sont applicables aux marchés privés.
N'oubliez pas, un mémoire technique bien rédigé :
- respecte non seulement les normes juridiques,
- mais témoigne également de l'engagement de votre société vers la qualité de vos offres dans les marchés publics.
Analyse du jugement TA Paris, 5 janvier 2024, n° 2328772 : Portée juridique et implications
Portée juridique et implications sur le mémoire technique dans les procédures d'appel d'offres.
Ce jugement a des implications importantes sur la rédaction du mémoire technique dans les procédures d'appel d'offres. Il souligne en effet l'importance de fournir un mémoire technique suffisamment précis et spécifique au regard des besoins du marché, sous peine de voir son offre rejetée pour irrégularité. Il rappelle également que l'acheteur public dispose d'une grande liberté dans la définition de la méthode de notation, mais que celle-ci doit respecter les principes fondamentaux d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures.
Par un avis d'appel public à concurrence, Paris Habitat a lancé une procédure d'appel d'offres ouvert pour la conclusion d'un accord-cadre ayant pour objet la fourniture et la pose de détecteurs avertisseurs autonomes de fumées et de monoxyde de carbone dans les logements gérés par l'office public. La société requérante a présenté trois offres, qui ont été rejetées par Paris Habitat le 7 décembre 2023. La société a alors saisi le juge des référés pour demander l'annulation de la procédure de publicité et de mise en concurrence, ainsi que la décision de rejet de ses offres.
La procédure suivie devant le tribunal a été celle du référé précontractuel, qui permet à un candidat évincé de contester la régularité de la procédure de passation d'un contrat avant sa signature. La société requérante a présenté plusieurs moyens de contestation, notamment le moyen tiré de la dénaturation de ses offres et celui tiré de l'irrégularité de la méthode de notation. Paris Habitat a quant à lui défendu la régularité de la procédure et le bien-fondé du rejet des offres de la société.
Le tribunal a tout d'abord rappelé les dispositions de l'article L. 2152-1 du code de la commande publique, qui prévoit que l'acheteur public doit écarter les offres irrégulières, inacceptables ou inappropriées. L'article L. 2152-2 du même code définit une offre irrégulière comme une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation, en particulier parce qu'elle est incomplète, ou qui méconnaît la législation applicable notamment en matière sociale et environnementale.
En ce qui concerne le moyen tiré de la dénaturation des offres, le tribunal a souligné que le juge du référé précontractuel ne peut pas se prononcer sur l'appréciation portée sur la valeur d'une offre ou les mérites respectifs des différentes offres. Il lui appartient en revanche de vérifier que le pouvoir adjudicateur n'a pas dénaturé le contenu d'une offre en en méconnaissant ou en en altérant manifestement les termes. En l'espèce, le tribunal a considéré que Paris Habitat n'avait pas altéré les termes des offres de la société requérante, à laquelle il ne reprochait que d'avoir fourni un mémoire technique trop général et donc insuffisamment précis et spécifique au regard des besoins du marché. Le moyen tiré de la dénaturation des offres a donc été écarté.
Quant au moyen tiré de l'irrégularité de la méthode de notation, le tribunal a rappelé que l'acheteur public définit librement la méthode de notation pour la mise en œuvre de chacun des critères de sélection des offres qu'il a définis et rendus publics. Toutefois, une méthode de notation est entachée d'irrégularité si elle méconnaît les principes fondamentaux d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures. En l'espèce, le tribunal a considéré que la méthode de notation utilisée par Paris Habitat, qui combinait une notation par paliers et une note éliminatoire, était régulière. Il a en effet souligné que cette méthode permettait d'éliminer les offres non conformes sans procéder à leur classement, et que la note éliminatoire inférieure à 25 points, soit en-dessous de la moyenne, n'était pas trop sévère. Le moyen tiré de l'irrégularité de la méthode de notation a donc été écarté.
Décision
Le tribunal a ainsi rejeté les conclusions présentées par la société requérante à fin d'annulation de la procédure de passation et du rejet de ses offres.
MAJ 20/01/24